Djahânnâma...

 En persan “qui montre le monde”. Mot empreint de noblesse que je préfère de beaucoup à cet autre mot persan djahangir “qui conquiert le monde”.
  Cihannümâ : transcription turque du mot persan ; elle reprend le sens étymologique mais en y ajoutant une seconde signification, architecturale celle-là : “belvédère”. Construction légère, sur pilotis ou en encorbellement, jouissant d'une vue étendue, d'où le rahat dede – sage doublé d'un bon vivant – confortablement installé sur des coussins, un verre de rakı à portée de main, observe tranquillement l'univers qui s'agite bien inutilement à ses pieds.
Présence et distanciation.
  Contemplation de la beauté du monde terrestre et réflexions mélancoliques sur son caractère éphémère : l'homme oriental sait allier plaisir sensuel et méditation.
  Montrer le monde, tel me semble bien être le propos du photographe-voyageur. Faire voir ce que les autres ne peuvent pas voir, ne savent pas voir ou, parfois même, ne veulent pas voir.
  Et aussi, en montrant le monde, faire entrevoir son monde...

Paul Veysseyre

  Paul Veysseyre est né à Lyon en 1947. Au cours de son adolescence, il se passionne pour la Grèce antique et le Japon et, tout particulièrement, pour leur architecture. Il découvre également la photographie à travers les livres de la bibliothèque paternelle. Études supérieures longues et variées à Lyon : mathématiques, sciences économiques, histoire de l'art, japonais...

  Dès ses premières années d'université, il se lance dans ce qui deviendra l'un des principaux moteurs de sa vie: les voyages aventureux et la photographie. Au cours d'un premier et très long périple à travers la Turquie, il se prend de passion pour ce pays qui, presque immédiatement, devient sa seconde patrie. Passion jamais démentie pour l'architecture populaire ; découverte de la civilisation byzantine et du monde de l'Islam ; voyages en Syrie, en Irak, en Iran, en Afghanistan et au Pakistan.

  En 1974, il renonce à son doctorat de sciences économiques à l'université de Tokyo pour aller travailler au Maroc. Après trois années d'enseignement des mathématiques à l'étranger, il décide de se lancer dans la photographie professionnelle à Lyon. Première exposition individuelle en 1978.
  Plus tard, il occupe à İstanbul le poste de photographe de l'Institut français d'études anatoliennes, où il devient expert en photographie archéologique ; avec quelques amis, il y fonde le RDP.

  De 1987 à 2015, Paul Veysseyre a travaillé au musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal - Vienne ; il a également enseigné la photographie à l'université Lyon 3. Il a dirigé la publication de plusieurs ouvrages consacrés à l'archéologie et à la restauration des oeuvres d'art, dont L'Usure du temps en 1998 et Sauvé des eaux en 2007.
  Par ailleurs, il n'a pas renoncé aux grands voyages, comme en témoignent ses reportages au Kurdistan, dans le Caucase ou en Asie centrale, qui ont fait l’objet de plusieurs expositions.

  Paul Veysseyre a commencé à s’intéresser au monde de l’imprimerie et de l’édition au cours de ses années de lycée. Il s’était alors passionné pour les premiers journaux apparus au XVIIIe siècle et tout particulièrement pour ceux de la période révolutionnaire. Une dizaine d’années plus tard, sa vocation de photographe s’étant affirmée, il prit conscience que la diffusion des photographies passait essentiellement par leur reproduction dans la presse et l’édition et que, en conséquence, leur qualité était fortement tributaire des techniques d’impression employées ; à travers les livres et les revues spécialisées il s’intéressa donc aux diverses techniques en usage dans les années soixante-dix.
  Fort de ce bagage tout théorique et échaudé par une première expérience inaboutie avec un éditeur suisse réputé, il commença à rêver d’éditer lui-même ses propres livres de photographies. Pendant de nombreuses années, en attendant de posséder toutes les connaissances techniques nécessaires, il accumula patiemment les prises de vues et les agrandissements pour ses futurs livres sur la Turquie et le Moyen-Orient.
  Cependant ses premières véritables expériences d’édition se déroulèrent dans le cadre de son travail au musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal puis au cours de sa collaboration avec ARC-Nucléart (Grenoble). D’abord La Maison des dieux océans, réalisé en 1992 avec ses amis archéologues en employant des moyens qui allaient bientôt devenir complètement obsolètes : mise en page sur papier, saisie des textes à la linotype, films de photogravure, épreuves papier, presse monochrome… Puis il réalise pour le musée toutes sortes de brochures, dépliants, affiches et cartes postales, pour lesquels, petit à petit, il maîtrise seul les nouvelles techniques issues de la révolution numérique. Suivent L’Usure du temps (1998) et Sauvé des eaux (2007) dont il assume entièrement la mise en page et la fabrication.
  Il s’estime alors suffisamment aguerri pour créer sa propre maison d’édition, Djahânnâma, et début 2012 il publie, en trois langues, son premier livre personnel İstanbul, seuil de la félicité suivi en 2013 par une version turque İstanbul Yâdigârı, kadîm şehir anısına. Pour obtenir la meilleure qualité possible dans l’impression des photographies en noir et blanc, il décide de faire appel à une technique rarement utilisée : la trichromie ; en France, seules quelques personnes la maîtrisent vraiment, mais il a la chance de rencontrer à Lyon un photograveur, Jacques Poirier, et un imprimeur, François Canard, qui l’ont déjà employée avec succès.
  Le livre Anatoliques, dans l’intimité de la Turquie profonde, paru en 2016, a également été imprimé en trichromie. Et Djahânnâma, voyages vers l’Orient le sera aussi.